Elle est photographe, elle a remporté, le grand prix Picto de la mode 2024. Cette année, elle est finaliste du 40e festival international de Hyères organisé par la Villa Noailles qui se tiendra du 16 au 19 octobre 2025. Yama Ndiaye explore la mémoire par le prisme de ses racines africaines. Depuis l’enfance, elle évolue dans un environnement artistique, son père est artiste peintre et sa mère plasticienne. Entre Toulouse et Dakar, les images, les gestes, les couleurs, les coutumes, le style, tout une esthétique prend forme et s’imprime en elle. Elle les traduit aujourd’hui grâce au médium créatif qu’elle a choisit : la photographie.

Peux-tu évoquer tes études et ton parcours ?
Yama : J’ai d’abord suivi une licence de lettres à La Sorbonne. Ensuite, j’ai passé le concours
des Gobelins, où j’ai étudié la photographie pendant trois ans. Cette formation m’a
permis d’affiner mon regard, d’expérimenter différentes pratiques et d’affirmer mon
approche artistique. Depuis ma sortie de l’école en juin 2023, je travaille à mon compte en tant que photographe. En parallèle des projets de commandes, je me consacre à des projets personnels à long terme, où j’explore notamment les notions d’identité, de mémoire et d’hybridité culturelle.

Comment est né ton désir de devenir photographe ?
Yama : Mon désir de devenir photographe s’est réveillé lors de mon cursus universitaire.
J’ai toujours été fascinée par les images et les couleurs, mais c’est lors d’un cours
de photographie à la Fac, que j’ai compris que cette passion était bien plus qu’une
simple attirance et qu’elle pouvait devenir ma vocation. Grace à cette option, j’ai eu la
chance de participer au Promenades Photographiques de Vendôme, ma première
expérience d’un festival photo.
Par la suite, être acceptée aux Gobelins m’a confortée dans l’idée que j’étais sur le bon
chemin pour explorer et exprimer ma vision artistique. Quand je suis arrivée à l’école, je
ne connaissais rien à la photographie. Tout était nouveau pour moi, et cet espace a été un
moyen d’explorer librement mon univers créatif. Ce cadre m’a fait réaliser que la
photographie était ,pour moi, le moyen le plus juste de ressentir et de raconter le monde.
C’est là que j’ai vraiment su que je voulais en faire mon métier.

Est ce que l’art, la mode et la photographie occupait une place importante dans ta
famille ?
Yama : Oui, l’art a toujours été au cœur de ma famille. Mon père est un peintre autodidacte
Sénégalais qui a fait une grande partie de sa carrière en France, et ma mère est une
artiste plasticienne également professeure d’Art Appliqué. J’ai grandi entouré de toiles,
de pigments, d’odeurs de peinture…L’atelier était un lieu de vie autant que de création.
J’ai suivi mes parents partout, dans les expositions, les salons, les vernissages.
À l’époque, je ne réalisais pas à quel point cet environnement façonnait mon regard. Pour
moi, c’était juste normal, c’était ma réalité.
C’est bien plus tard que j’ai compris l’impact
que cela avait eu sur ma sensibilité artistique : mon rapport aux couleurs, aux textures, à
la composition. Ce n’était pas juste un décor familial, c’était une éducation silencieuse,
une immersion qui a nourri ma manière de voir et de raconter le monde aujourd’hui.


Le Sénégal, c’est une moitié de moi-même. Un endroit qui m’appartient autant qu’il me
glisse entre les doigts. C’est une terre familière et lointaine à la fois, où je me sens ancré
sans toujours en maîtriser les codes. Le Sénégal est un lieu qui me ressource et m’inspire
au quotidien.

Quels ont été tes tous premiers ressentis la première fois que vous avez découvert le Sénégal ?
Yama : La première fois que j’ai découvert le Sénégal, j’avais à peine deux ans. Mes souvenirs sont flous, et se mêlent aux photographies que ma mère capturait beaucoup à l’époque. Mais c’est lors de mon second voyage, à six ans, que j’ai vraiment pu rencontrer mes cousins, mes tantes, tout les membres de la famille de mon père et ressentir cet immense amour familial. Mes tout premiers souvenirs sont ces instants d’enfance, à la fois simples et précieux, ou je jouais avec tout les cousins dans la cour familiale, sous le regard tendre et rieur des plus grands.
Qu’est ce que le Sénégal a de différent ? Les rencontres, la lumière, la vibe ..?
Yama : Je ne sais pas si je pourrai dire avec certitude ce qui rend le Sénégal différent, mais ce qui le rend unique à mes yeux, c’est le lien intime que j’ai avec lui. Un espace familier où
je retrouve des visages, des voix, une culture et une manière d’être au monde qui
m’inspire. Là-bas, la créativité est partout, portée par une jeunesse qui entreprend, qui invente, qui re définie les anciens codes. Qui lutte aussi pour ses droits, comme on l’a vu lors des dernières élections, elle a porté une voix plus que forte et engagée
Si tu peux aussi me parler de toi, de ce que tes sources d’inspiration, de ton
amour pour ton travail, de tes projets et rêves…
Yama : C’est à travers la photographie que j’ai trouvé un moyen de communiquer ce que les
mots ne pouvaient pas dire. Mon travail est comme une exploration intime de mon
histoire familiale, où les souvenirs et l’imaginaire se mêlent.
Je m’inspire de mes moments passés au Sénégal, notamment de souvenirs marquants
comme des moments simples de vie quotidienne , où même sans parler la même langue,
nous partagions quelque chose de profond. C’est cette relation entre silence et émotion
que j’essaie de traduire en images.
Mes photos sont souvent un mélange d’observations, de sensations et de mise en scène,
où la lumière, les couleurs et les textures jouent un rôle important. À travers ces images,
je crée un dialogue visuel sur l’identité.
Dans mon travail, la mémoire joue un rôle essentiel, notamment à travers l’usage des
archives familiales. Ces photos, souvent oubliées sont pour moi des fragments précieux
de notre mémoire familiale. En les faisant vivre sous la forme d’expérimentations
plastiques et en mettant en avant certains détails, je leur donne une nouvelle vie et
propose une autre lecture, de nouvelles histoires.
Quand je travaille en studio je laisse toujours une grande part d’improvisation.
C’est un lieu qui me plait car je peut venir composer mes images et venir donner des vies
à des souvenirs.
Je pars toujours avec une idée en tête, un concept ou une émotion que je souhaite
traduire à travers mon image. Ce point de départ est souvent abstrait, comme un
sentiment ou une atmosphère que je veux capturer. Ensuite, je commence à m’entourer
d’objets, de tissus, de vêtements, et d’accessoires qui, pour moi, racontent une histoire
ou transportent une signification particulière. Ces éléments ne sont pas choisis au hasard.
Ils sont souvent le résultat de mes voyages, ramenés de lieux qui m’ont marqué, ou bien
des objets personnels qui, par leur histoire, apportent une dimension intime à la
composition.
Au moment où je prépare la séance photo, ces objets deviennent mes outils pour
façonner l’image.
J’ai été lauréate du Prix Picto de la Mode en juin 2024, une reconnaissance qui m’a offert
une belle visibilité et m’a ouvert de nombreuses portes.
Cette année, je vais exposer au festival Les Femmes s’exposent en juin 2025 et je fais
partie des finalistes du Festival de Hyères, qui se tiendra en octobre à la Villa Noailles.
En parallèle, je prépare une exposition personnelle que j’espère pouvoir présenter à la
rentrée.
Mon rêve est de continuer à vivre de cette passion, collaborer avec d’autres artistes et
porter mes projets toujours plus loin. Et au-delà de mon travail personnel, j’ai à cœur de
contribuer au développement de La Maison des Arts à Saly (Sénégal) , un espace que
mon père développe depuis plus de dix ans et que nous souhaitons transformer en
véritable lieu culturel pour la ville. Ce projet me tient particulièrement à cœur, car il rejoint
ma volonté de créer des ponts entre mes origines, mon travail et une vision plus collective
de la création.