Camille Chaleil est céramiste à Marseille. Elle est tombée amoureuse de la terre lors d’un voyage en Tunisie. Un coup de foudre qui marque un tournant dans sa vie. Son univers ? Poétique, délicat à l’esthétique brute. Sans concession tout en restant ouverte sur le monde et aux autres. Camille multiplie les collaborations, la dernière en date avec la cheffe Zuri Camille de Souza donne vie à un plat à Thali (repas indien et népalais) en grès.

Peux-tu évoquer tes études et ton parcours professionnel ?
Camille : J’ai commencé la céramique en 2016. Je suis passée par l’école de céramique d’Aubagne en spécialisation tournage. J’ai effectué de nombreux stages, chez des céramistes et potiers marseillais et au centre national de céramique de Tunis. Avant ça, j’ai fait de la photo quelques années. Je ne suis pas passée par une école, j’ai eu la chance de réussir à me former de façon « artisanale », dans les livres, les clubs de photo et auprès des photographes Antoine d’Agata et Andrea Graziosi. Je ne suis pas très scolaire et j’ai adoré me former de cette façon.
Comment est né ton désir de devenir céramiste ?
Camille : Par la photo et la Tunisie. En 2015, je suis partie un mois en Tunisie avec mon amoureux de l’époque qui est journaliste. J’illustrais régulièrement ses articles. Trax magazine et Vice nous avaient commandé des articles sur des évènements et lieux aux quatre coins du pays et nous avions terminé notre voyage par Tunis où nous passions par le centre de céramique Sidi Kacem Jelizi. C’est le centre national de céramique mais aussi le lieu où est enterré le marabout et céramiste Sidi Kacem Jelizi. Nous sommes arrivés au milieu de la fête de l’anniversaire de sa mort. J’ai fait ma première initiation à la céramique dans ce lieu mystique et à ce moment très particulier. J’ai mis les mains dans la terre et à ce moment-là, j’ai su que c’est ce que je voulais faire pour le reste de ma vie. Je suis rentrée à Marseille, j’ai mis mes appareils-photo de côté et j’ai cherché un stage et une formation en céramique.

Est ce que l’art, la culture, l’artisanat occupait une place importante dans ta famille ?
Camille : L’artisanat, beaucoup, le travail des mains. J’ai toujours vu mes grand-parents maternels faire des choses de leurs mains. Mon grand père dessinait, construisait. Il nous faisait des livres, des carnets. J’ai un imagier qu’il avait fait pour mes deux ans, relié au fil et dessiné à la main. Il avait fait de magnifiques maquettes de maisons provençales pour compléter la crèche de ma mère. Ma grand mère à peint et cousu de nombreuses années, sa maison en Corse est remplie de ses tableaux, boutis et patchworks. Ma mère crochète et tricote pour toute la famille.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Camille : D’abord, la méditerranée et ses reliefs géographiques et figurés. J’ai passé une bonne partie de ma vie en Corse dans la maison de ma grand-mère et de mon arrière-grand-mère. J’ai grandi en Provence, et à vingt-quatre ans, je suis tombée amoureuse de la Tunisie, de sa lumière . J’aime le paradoxe de la Méditerranée. Le choc entre des traditions immuables, et la modernité amenée par autant de peuples en mouvement. C’est l’amour, la chaleur, la rondeur, la violence et la dureté. L’affrontement et l’équilibre entre la terre et la mer, si intense en Corse par exemple, où la montagne tombe directement dans la mer. Pour moi, aucun autre paysage n’est aussi puissant, ça nourrit ma créativité.

Ensuite, la cuisine et les chefs. Je suis particulièrement admirative du travail des chefs : les techniques utilisées, les univers déployés, la capacité de mettre en résonance le goût, la texture et l’esthétique, tout en remplissant le besoin primaire de nourrir l’autre. C’est un beau métier et je suis très heureuse de pouvoir m’en approcher en pensant des pièces en collaborations avec les chefs dont le travail me touche.


Si tu devais définir Marseille en quelques lignes. Comme si tu décrivais une personne ou que tu racontais une petite histoire que dirais tu ?
Camille : J’ai du mal à raconter Marseille car c’est une ville qu’il faut expérimenter, longtemps et avec les yeux bien ouverts pour la comprendre et je ne me sens pas légitime pour la résumer. Mais je peux te décrire mon rapport à Marseille par une métaphore, celle de la mère. Marseille me nourrit, m’a fait grandir et m’a beaucoup appris. Elle m’a prise dans ses bras dans ses moments de poésie et m’a poussée dans mes retranchements pour me faire grandir chaque jour. Il m’a fallu parfois m’en détacher pour prendre du recul et découvrir qui j’étais sans elle mais j’y reviens, toujours. Elle fait partie de moi comme je fais partie d’elle.

Quels ont été tes tout premiers ressentis la première fois que tu as découvert Marseille ?
Camille : Le sentiment d’arriver dans une ville de pirates, et je le pense toujours. On pousse tous un peu les bords du cadre pour essayer de se faire une vie, une place. On se heurte au cadre des autres, parce qu’on est nombreux, qu’on na pas les mêmes envies, idées, habitudes, traditions, alors on redéfinit le cadre. C’est une ville en perpétuelle mutation peuplée de pirates en perpétuelle évolution. C’est parfois épuisant mais c’est surtout très enrichissant.
Tes endroits préférés à Marseille ?
Camille : Les églises. Je ne suis pas croyante mais j’y vais souvent. Il y a beaucoup d’églises à Marseille, avec des styles architecturaux très différents. Ce sont des refuges pour échapper au monde, au bruit et à la chaleur de la ville.
L’été, je passe pas mal de temps à la vieille charité, c’est magnifique. Quand il fait très chaud, que la population à doublé et que la ville est pleine à craquer, au bord de l’explosion, tu passes la grille et tu es protégée, comme si le monde extérieur n’existait plus.
Si tu peux aussi me parler de toi, de ce que tu aimes, de ton amour pour ton travail, de tes projets et rêves…
Camille : J’ai pas mal de projets de collaboration à venir. J’aime travailler seule mais j’ai aussi besoin d’autres énergies pour avancer dans mon travail. Collaborer, échanger, prendre en compte les contraintes de l’autre, ça stimule ma créativité. Ça m’apprend beaucoup et c’est une chance de continuer à apprendre en transmission directe.Je viens de terminer une collaboration avec la cheffe Zuri Camille de Souza. J’aime le plat que nous avons créé ensemble mais, surtout, j’ai adoré travailler avec elle. J’ai également collaboré avec le duo de designeuses de Hors-Studio avec qui j’ai passé de nombreux et beaux moments. Ensemble, nous avons créé des pièces dont je suis très fière.J’espère pouvoir continuer à travailler avec des gens qui m’inspirent, avec la douceur avec laquelle ces collaborations se sont déroulées.

