J’ai rencontré Marine en voyage de pesse à Marseille en 2021, elle est journaliste indépendante, spécialisée dans le design. Je suis heureuse d’aborder avec elle ; son parcours en autodidacte qui j’espère pourra vous inspirer et qui l’amène aujourd’hui à franchir une nouvelle étape; celle du lancement de son propre magazine : Insolite. On a aussi en commun des origines tunisiennes, qui me permettent de faire un clin d’œil à mon pays d’amour et de mettre en lumière le village iconique de Sidi Bou Saïd à travers ses souvenirs et ses mots.
Peux-tu évoquer tes études et ton parcours professionnel ?
Marine : À l’origine, je me destinais à être prothésiste dentaire, une carrière qui semble très éloignée de ce que je fais aujourd’hui. J’ai donc quitté ma Normandie natale pour m’installer à Bordeaux et commencer une année de prépa afin d’apprendre les bases de ce métier. Après des mois à étudier, je me suis vite rendue compte que quelque chose n’allait pas. J’avais l’impression de ne pas être à ma place, je ne me sentais pas en adéquation avec les autres élèves. Avec du recul, je pense que j’avais choisi cette voie par dépit, sans prendre le temps de réfléchir véritablement à mon avenir. Je sortais tout juste de l’adolescence et je ressentais vraiment le besoin de m’émanciper, de commencer ma vie d’adulte entre guillemet. À l’époque, je considérais chacune de mes expériences comme un niveau à atteindre pour me permettre de grandir. Et puis, je me disais que je pouvais changer de direction à tout moment, que j’étais libre en quelque sorte. Cet état d’esprit a façonné la manière dont j’ai abordé mes études et ma carrière professionnelle par la suite. La littérature a toujours énormément compté pour moi. Petite, je passais mes samedis dans l’une des plus grandes librairies rouennaises, à feuilleter des livres et des encyclopédies. Cela me permettait d’être dans mon monde, un monde imaginaire qui n’appartenait qu’à moi. Je me suis souvenue de ces passages de mon enfance et j’ai donc commencé des études en lettres modernes – toujours à Bordeaux – pour me diriger dans l’édition. Cette remise en question a été un électrochoc, je ressentais le besoin d’apprendre de nouvelles choses constamment. Dès l’obtention de ma licence en lettres modernes, je me suis intéressée au graphisme puis à la communication dans les médias, ce qui m’a permis d’intégrer de nombreuses grandes rédactions. De fil en aiguille, mes expériences professionnelles et mes rencontres m’ont dirigé vers le journalisme sans que je m’en aperçoive.
Comment est né ton désir de devenir journaliste ?
Marine : J’écris depuis l’âge de mes dix-neuf ans. Lorsque je vivais à Bordeaux, j’assistais fréquemment à des concerts de groupes indépendants et je me plongeais dans les articles de médias qui couvraient ce genre d’évènements. Un jour, je me suis dit : « Et pourquoi pas moi ? ». J’ai contacté le rédacteur en chef de l’un d’entre eux pour lui soumettre ma candidature. Tout s’est passé très vite, il m’a donné ma chance et c’était parti. En y réfléchissant, mon amour pour l’écriture s’est développé grâce à cette expérience. Enfant, je souffrais de dyslexie, je confondais souvent les lettres et les chiffres, ce qui m’empêchait de former des phrases construites par écrit. Il est étrange de voir que j’ai fini par poursuivre quelque chose d’aussi étroitement lié à ce qui m’ handicapé à l’époque. Je pense que ma passion pour le journalisme a commencé dès l’âge de mes huit ans.
Est-ce que l’art et le design occupait une place importante dans ta famille ?
Marine : Ma mère s’est toujours intéressée à la décoration d’intérieur. Lorsque j’étais petite, elle collectionnait toutes sortes de magazines et de livres sur le sujet. Une habitude qu’elle conserve encore aujourd’hui d’ailleurs. L’appartement où j’ai grandi était situé juste au-dessus d’un antiquaire. Il fallait passer à côté de son atelier pour accéder au hall de notre immeuble. L’odeur du vernis à bois est ce qui me revient le plus en mémoire. Mais il n’y a pas que la décoration d’intérieur et le design qui ont bercé mon enfance, la mode avait aussi une place importante. Tous les dimanches, je regardais l’émission « La mode, la mode, la mode » animée par Alexandra Golovanoff ou les défilés de mode diffusés sur Fashion TV pour être à l’affût des dernières tendances et des make-up en vogue Petite, j’adorais faire des spectacles de danse dans mon salon et je m’amusais à créer mes propres costumes pour l’occasion. Je pense que ces influences ont affiné mon sens du détail.
Si tu devais définir Tunis en quelques lignes. Que dirais-tu ?
Marine : Mon grand-père paternel est né à Tunis et s’est installé en France à l’adolescence. Je n’ai appris à le connaître que plus tard dans ma vie et, honnêtement, je n’ai pas beaucoup de souvenirs de lui dans mon enfance. Nous parlions de son histoire avec mon père mais jamais vraiment en profondeur. Ce n’est que quelques années plus tard, lorsque j’étais adolescente à mon tour, que je l’ai revu. J’ai découvert une personne solaire avec un humour sans faille et un véritable cordon bleu, sa recette de Chakchouka est une merveille. Ces retrouvailles ont été ressourçantes pour moi car elles m’ont permis de renouer avec mes origines et de mieux comprendre qui je suis et d’où je viens.
Tes premiers ressentis la première fois que tu as découvert la Tunisie ?
J’ai découvert la Tunisie assez tard à vrai dire, lors d’un voyage à Sidi Bou Saïd, un village situé à une vingtaine de kilomètres de Tunis. L’hôtel où je séjournais surplombait la mer Méditerranée. Je me suis retrouvée complètement captivée par le paysage, incapable de détacher mes yeux de cette vue envoutante. C’était incroyable. Chaque ruelle était parsemée de maisons blanchies à la chaux et peintes en bleu, ce style d’architecture me faisait penser aux maisons des Cyclades en Grèce. Il y avait des terrasses à chaque coin de rue dont celle du Café des Nattes, l’un de mes coups de cœur. Bien que la Tunisie fasse partie de mes origines, c’est dans le sud de la France que j’ai passé les moments les plus précieux de mon enfance, avec mes grand-parents maternelles et ma cousine notamment. C’est là que mon grand-père m’a appris à nager, que j’ai dégusté des glaces au chocolat à n’en plus finir, que j’ai connu mes premiers amours.… En repensant à ces souvenirs, je ne peux m’empêcher d’être nostalgique. Je me rends compte de la chance que nous avons eue de vivre ces moments-là.
Si tu peux aussi me parler de toi, de ce que tu aimes, de ton amour pour ton travail, de tes projets et rêves… de ton nouveau Magazine ?
Je me suis toujours intéressée au design par le biais de la photographie notamment. Lorsque j’étais au lycée, je passais des heures sur Tumblr à dénicher les comptes les plus insolites dans le domaine. Cet attrait pour la découverte faisait déjà partie de moi. C’est au cours de ma première expérience en tant que journaliste pour un magazine réputé que j’ai vraiment découvert ma passion pour le design. Pour la première fois, j’ai eu l’impression d’être à ma place. Aujourd’hui, je peux dire que j’exerce un métier-passion. Mon travail prend une grande place dans ma vie, même parfois un peu trop. J’éprouve un amour inconditionnel pour le design tout simplement. Je pense que j’ai un parcours assez atypique dans le sens où je n’ai pas fait d’école de journalisme pour intégrer de grandes rédactions et exercer le métier que je fais aujourd’hui. Au départ, je me sentais illégitime parce que je n’avais pas emprunté le même chemin que les autres. C’est ce que l’on me faisait ressentir aussi parfois, que ça allait être plus compliqué pour moi parce que je n’avais pas acquis certaines « bases » scolaires. C’est pour ça que j’ai eu l’idée de créer le magazine In.Solite, afin de parler de designers qui repoussent les limites du design conventionnel, en faisant place à l’anti-conformisme et au hors-norme. Selon moi, une grande carrière dans le design n’est pas uniquement déterminée par l’éducation formelle. Avec un peu de panache et de détermination, le succès est à la portée de tous. C’est pourquoi mon magazine présente le travail d’étudiants en design, mais aussi de créateurs autodidactes qui ont tracé leur propre voie et dompté leur art en toute indépendance. Ce nouveau magazine représente tout simplement mon état d’esprit et j’espère qu’il fera écho à d’autres personnes également.